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Or une chose est parfaitement claire

samedi 3 octobre 2009, 16586e jour de mer, par JC Sekinger

Un jour, j’avais presque 37 ans, je ne pouvais plus parler. C’est embêtant lorsqu’on a été habitué à pouvoir le faire, mais le tragi-comique de l’affaire est que j’avais en même temps la certitude de le faire correctement : J’émettais quelques faibles grognements tout en étant absolument certain d’avoir prononcé une phrase ! « j’ai soif », pour moi, devait être quelque chose comme « mbgggphd » ou « ffnnn » pour les gens penchés sur mon lit. Je ne comprenais pas qu’ils ne me comprennent pas, j’avais pourtant dit une chose simple !

J’ai enfin vu la différence entre l’idée des mots et leur forme quand, quelques jours plus tard, j’ai essayé d’écrire. D’abord, ma main droite ne fonctionnant pas, j’ai dû le faire avec la main gauche. Ça devait pouvoir aller quand même... eh non : les mots, pourtant pensables et lisibles dans mon imagination, devenaient sur le papier de minuscules petits machins noirs, des vermisseaux sans queue ni tête... Il fallait bien se rendre à l’évidence, comme on dit : malgré tout le sens que je leur insufflais, les mots ne se formaient pas.

Ai-je retrouvé, neuf ans plus tard, la pleine capacité de me faire comprendre ? Pour ce qui est de former les mots, oui. Les mots, dont la signification est dans mon imagination, prennent bien selon moi une forme reconnaissable et acceptable.

Mais que comprenez-vous vraiment de ce que je dis ? J’ai toujours, si je n’y fais pas attention, la certitude d’être parfaitement compréhensible (d’autant plus que je forme les mots correctement, que je fais des phrases assez syntaxiquement correctes, que je mets la ponctuation où il faut, que je n’ai pas trop à déplorer mon orthographe...) or je le constate : vous ne comprenez pas comme je le voudrais ni tout ce que je voudrais... d’ailleurs, n’avez-vous pas aussi la désagréable impression de n’être souvent compris qu’à moitié et de devoir alors préciser, argumenter ? Ce qui n’aboutit qu’à rendre votre discours plus complexe, nébuleux, funambulesque ?

Mais oui ! C’est ainsi ! Chacun parle baîllonné ! Chacun écrit dans le noir !

Désespérant ? Ça en a mortellement désespéré plus d’un.

Or une chose est parfaitement claire.

Celle-là (ne regardez pas le doigt, regardez la lune)

Dessin de Douglas Harding emprunté chez José Le Roy (merci José)

Le logo a été emprunté, celui-là aussi, sur GRANDPAPIER, à quelqu’un dont je n’ai pas trouvé le nom. Alors s’il se reconnait, s’il ne veut pas voir son dessin mêlé à ça ou pour toute autre raison : qu’il se désigne !

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