Je ne suis pas un artiste

 Je dessine et je peins ce que je vois, rien de plus, avec la pensée, cependant, que ce qui est ordinairement tenu pour réel est seulement apparent.
 Je prépare mes supports à peindre avec du contreplaqué, de la colle de peau, de la craie. Je prépare mes peintures avec un œuf, du vernis « à la chaussette », de l’eau. J’aime cette façon de faire. Je ne me vois pas entrer dans un magasin et acheter une peinture acrylique et des châssis entoilés. Des poules, il y en aura bientôt dans le jardin.
 Je dessine des choses dont je pense qu’elles sont banales. Je n’aime pas ce qui est exceptionnel.
 Je vends parfois des tableaux, mais cela me frustre : quitte à être payé, je préférerais l’être pour montrer à chacun qu’il peut, comme moi, peindre ce qu’il voit et ce qu’il aime. Je me trompe peut-être.
 Je ne travaille pas et je ne cherche pas. J’attends.
 Quand on me demande ce que je fais (dans la vie) je suis un peu embarrassé.
 Mes tableaux ne sont pas drôles, sauf une fois où j’ai commencé à peindre un oignon au dessus duquel j’ai écrit « pourquoi pleures-tu ? ». Je n’ai pas fini cette peinture. Mes tableaux ne sont pas tristes non plus. En fait, ils sont un peu sans qualités.
 Je connais des gens qui sont des artistes et je me trouve complètement différents d’eux : je ne fais pas parler de moi (en tant que peintre du moins), je ne défends pas ma peinture et je ne la signe pas, je ne suis pas intervenant pédagogique, j’ai lu Nathalie Heinich, je pense que ma peinture n’a qu’un intérêt limité, que ce sont ses sujets qu’il faut regarder (« ma » peinture ne fait que les désigner), ni transgressif, ni subversif, je ne surprends pas et n’apporte rien de nouveau.
 Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, je ne suis pas un artiste (et je ne prétends pas en être un).