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Journal en poudre (2)

mercredi 4 juillet 2012, 17591e jour de mer, par JC Sekinger

Oui, (je prolonge mes lectures de vos pages) il y a l’élan d’étreindre dans l’élan d’écrire, pierres précieuses découvertes en écrivant, embrassées du regard. Cela, je l’ai souvent constaté : tout mouvement est désir. Écrire est marcher, ou courir, sur la plage blanche, notes un peu sombre des pas sur la page de sable.

Je voulais retourner m’asseoir sous les albizias, bien décidé cette fois à aller dans tout l’insaisissable de leur parfum jusqu’à son origine en moi − mais va-t-on jamais ailleurs qu’en soi ? − et à quelques pas d’eux, j’ai cherché dans mon sac, mon carnet bleu. Il n’y était pas. Je me suis assis parmi les fleurs, j’ai cherché encore, retourné l’inquiétude, parlé à haute voix, cherché encore. Il n’y était pas. Il y avait un vide.

Depuis un an, j’avais pris des notes dans ce carnet, plus ou moins versifiées, plus ou moins prosaïques. La première, assis sur un banc, en attendant l’heure d’un premier rendez-vous avec l’avocat. Les dernières, un an plus tard, quelques jours après notre divorce. Avoir ce carnet dans mon sac − et un stylo − libérait de longues rêveries et, par avance, en consolait l’envol. Parfois elles restaient, tournaient en moi, et leur mouvement faisait les arabesques de l’écriture. Sans ce carnet, cette fois, je ne pensais plus qu’à son absence.

Ne plus songer qu’au vide. Je ne suis pas resté assis, très vite reparti. Je ne me promène pas sur les quais, j’y marche vivement. Quand je m’arrête c’est pour écrire, ou regarder par exemple les allées de vortex d’un courant blanc − droite rapide puis hésitante et volubile mousseuse, qui s’enroule vers l’intérieur, sale crosse de neige qui reprend son élan, en miroir, élan fatigué qui s’infléchit et s’enroule à nouveau, se déroule et s’élance éperdu dans le fleuve − ou les reflets du ciel, ou mille autres détails. Ne plus songer qu’au vide : je regarde en marchant comment les êtres en surgissent ou y retournent.

Il y avait trois pêcheurs. Celui avec la casquette à carreaux, la cigarette informe et grise, remettait quelque chose au bout de son fil et disait à ses camarades : « il a tiré sa ligne, il avait quelque chose, et un bras est sorti droit de l’eau, comme ça, un corps ». Je songe en passant − je n’ai pas ralenti mon pas − à La Rivière-de-Corps, mon enfance, et aussi à Max Ernst, son Jardin de la France. Revenant sur mes pas, façon de parler, je viens de nouveau de croiser les pêcheurs et devant moi, un jeune homme les désigne de son menton barbu à celui qui marche avec lui : « qu’est-ce qu’ils peuvent pêcher ? ». Et je me dis : « des corps ». Ces deux-là viennent vers moi et disparaissent.

« Papa ! » Je tourne la tête, même si je suis seul, c’est plus vite que moi et je regarde un bref instant, hébété par l’étrangeté de cet enfant. Cette fois, je ne l’ai pas regardé, j’ai arrêté ma tête avant et j’ai du mal à la remettre droite : elle est soudain lourde de souvenirs, et son cou, dessous, est raidi par la peur.

Étreindre. Écrire.