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Rêverie créatrice

mardi 21 juillet 2009, 16512e jour de mer, par JC Sekinger

La technique de détrempe à l’œuf n’autorise pas d’improvisation. D’autant moins que je ne peins que ce que je vois. Dans cette mise-en-œuvre, tout est rigide : les supports sont des panneaux de bois, encollés, préparés avec une enduction maigre longuement poncée puis lissée... cette peinture ne permet pas de modelés, elle est fragile surtout le temps de l’exécution (puis en durcissant ne permet plus aucun repentir), pas très couvrante, les aplats n’en sont pas très francs (pas du tout ceux de la gouache par exemple), et le plus sûr reste de peindre en hachures - donc de dessiner plutôt que de peindre - et certainement pas de barbouiller ou de patouiller hardiment et joyeusement comme je pouvais le faire avec l’huile sur les toiles souples, en aller-retours de brosses (re)bondissantes ! Mais voilà, je me suis obstiné, pour mille raisons, à peindre ainsi. Raisons psychologiques, philosophiques et culturelles qui ne valent que pour moi et dont je ne dirai plus rien. Le seul moment de la peinture où il resterait un peu de fantaisie est l’esquisse au fusain mais elle disparait vite sous un dessin à l’encre et je dépoussière le tout d’un coup de chiffon.

Où est la création là-dedans ? m’a-t-on demandé un jour en haussant les sourcils. Comment créez-vous ? m’a aussi demandé Jean-François Doucet.

La création [1] a lieu, pour moi, avant de peindre. Entre le polissage final des panneaux de craie avec un chiffon humide et les grincements poussiéreux du fusain, entre l’espace blanc et le charbon noir. Une rêverie, entre sommeil et veille, mais n’importe quand dans la journée. Dans cette rêverie, s’assemblent désirs, souvenirs, émotions, pensées, sentiments... Rêverie. C’est le seul mot qui me vienne. Rêverie qui vient seulement après que j’ai lu ou dessiné ou poncé [2]... Je m’assois devant le chevalet, le panneau blanc. Champs d’étoiles, champs des possibles, champs tout juste amendé. Rêverie. Je me relève et farfouille dans une vieille boîte pour y prendre tel objet auquel je n’avais pas forcément fait attention, qui se trouvait là presque par hasard. Je le regarde, le tourne, le pose dans la lumière, le tourne encore et, en un instant, toute la rêverie s’y précipite !

Je le dessine en hâte, comme s’il allait disparaître, et je le peins sans hésiter.


Ce texte est à rapprocher des notes 208 et 275


[1le mot me convient moyennement mais je ne sais pas pourquoi et je n’en trouve pas d’autre

[2c’est à dire : seulement quand je n’ai plus rien à faire