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Temps : Entre obscurité et lumière 1/n

Sur les quais

dimanche 30 juin 2013, 17952e jour de mer, par JC Sekinger

Vous me connaissez peut-être cette obsession depuis 1986, depuis que j’ai lu la Farbenlehre de Goethe : L’ombre et la lumière comme principes de création − c’est à dire d’apparition − du monde. Ça a tout de suite été une évidence et c’est très rapidement devenu une obsession. J’y ai songé mille fois, j’en ai parlé en agitant les bras et en écarquillant les yeux. De là, j’ai souvent songé à des cadrans solaires, je me suis sérieusement documenté, appris ce qu’est la déclinaison gnomonique, fait et fait faire par des amis lointains des relevés de latitude, longitude et orientation de murs (« Cabane de jardin de G. et P., 204° vers le sud, 47°12’43.39"N, 1°35’22.32"O, 41m alt. »), appris à en calculer le dessin mais jamais à les réaliser. Que me manquait-il ?

Plus tard, j’ai lu comment le premier portrait fut inventé, selon Pline et son Histoire Naturelle, par la fille du potier Butades, de Sicyone : en détourant sur un mur, l’ombre de son amoureux.
Dibutades ou L'invention du dessin - Jean-Benoît Suvée, 1791
Il y a quelques jours, marchant avec ma fille, m’est venue l’idée de tracer un cadran solaire au pied d’un lampadaire, près du Centre Social. J’imaginais des lignes de métal, de petites bornes arrondies pour marquer les heures. Je me suis dit qu’il fallait ça autour d’un très banal objet du Grand-Parc, qu’il fallait faire cet honneur aux habitants du quartier. Quelques jours plus tard, je me suis dit que je pourrais aussi bien ne tracer qu’une ligne, marquer l’heure et la date, revenir, recommencer... puis j’ai pensé que je pourrais le faire partout, me balader avec des craies dans la poche et tracer des lignes sur les trottoirs et les murs...

Je l’ai écrit à une amie qui m’a suggéré de le faire (aussi ?) avec des gens.

Ça n’est pas pareil de détourer l’ombre d’un objet inanimé et fixe et l’ombre d’un être mobile ou même vivant ! Premières grandes différences auxquelles je n’arrive pas encore à penser. Mais, détourer l’ombre, parmi celles des êtres vivants, d’un être humain, c’est pour moi si puissant que je ne parviens même pas à l’imaginer !

Après quelques tracés et photos, j’ai rapidement voulu tout saisir, tout noter : l’ombre d’un chien, d’un homme qui court, d’une jeune femme rêvant face au fleuve... Je remarquais tout, je veux dire que tout était devenu remarquable ! La craie blanche faisait un halo autour des ombres, les densifiait, les objectivait et, ça peut sembler paradoxal, allégeait toute apparition en la fondant aussi dans son ombre possible : tout redevenait ombre : Les ombres sont des êtres magiques dont l’apparition dépend de la lumière. Mais elles sont avant tout le premier corps de tous les êtres.


Merci à celles et ceux qui se sont prêtés au jeu mais dont je ne publie pas les images : aveuglé par le soleil, j’ai mal cadré ma photo, maladroit, j’ai laissé tomber mon appareil qui n’a pas mémorisé l’image, étourdi, je ne leur ai pas demandé d’autorisation de publier leur portrait ou ils sont trop identifiables, etc. Promis, la prochaine fois je vais me perfectionner !

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