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Dans le tramway

16599e jour, par JC Sekinger

Dans le tramway, s’il reste des places assises et que peu de gens se tiennent aux barres, il est aussi commode pour les un(e)s et les autres, d’éviter les regards.

Mais s’il y a foule et qu’il est désormais inutile de se tenir parce que pressés les un(e)s contre les autres on ne risque plus de tomber, les regards s’affolent et se précipitent, les têtes tournent à droite et à gauche et rares sont celles et ceux qui peuvent encore fixer quelque chose : ceux qui ne voyagent pas seuls ou lisent ou ferment les yeux. Écrasés debout dans les rames de tramway, on regarde le dos et les profils des têtes et enfin, très brièvement et comme par mégarde, les faces des visages : aussitôt, en affectant la lenteur, on détourne son regard pourtant aimanté et on cherche la forme insignifiante à laquelle on pourra l’accrocher sans risque. Reposer son regard. Manteau au porte-manteau. Mais comme il n’est pas pensable de fixer longuement un boîtier fixé près de la porte ou une poignée de secours derrière une vitre, comme il est inconfortable de fixer le défilement relatif des arbres et des façades, de nouveau le regard cherche dans la rame : il cherche les regards sans oser pourtant les regarder.

Cinquante personnes ensemble ? Les regards se cherchent et s’évitent, c’est la danse de l’amour et de la peur, danse sur l’étrange musique de la foule emportée.

Cette glace, cependant, est fine : un geste, une parole et les visages s’éclairent, transfigurés : ciel des sourires, éclats d’or des regards, lumineux soulagement !

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