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le visage des autres

jeudi 8 juillet 2010, 16864e jour de mer, par JC Sekinger

Romy,
De mon point de vue, mon corps n’est pas seulement différent de celui de tous les autres, il ne peut pas lui être comparé. Celui des autres a une tête en haut, avec des yeux, une bouche et tous les détails qu’il faut ; mais je ne vois pas mon propre visage, je ne le vois jamais, je ne l’ai jamais vu.
J’ai bien sûr des images de ce visage sur des surfaces plus ou moins réfléchissantes : je le vois net ou flou, taché ou non, de dimension apparente et de couleur variables, il me sourit ou grimace sérieusement. Mais ces reflets de mon visage pourraient être les reflets, les images, de n’importe quel visage. Tu comprends ? À ce moment j’entrevois quelque chose dont je ne pourrais pas affirmer que ça soit bien moi car, à l’instar du visage des autres, celui-ci a "deux yeux, une bouche et tous les détails qu’il faut" or c’est toujours ainsi que m’apparait le visage des autres (jamais le mien).
Et le reste ? Ce que je vois de mon corps est encore complètement différent de ce que je vois de celui des autres : quand je regarde de mon thorax à mes pieds, ma tête se redresse. Est-ce à dire que mes pieds sont plus haut que mon torse ? Les pieds des autres sont bien en dessous ! Et si l’autre tourne sur lui-même, je vois l’autre côté de son corps et celui-là, alors, ressemble bien à ce que Marc Aurèle disait en parlant de "sac" : c’est fermé, ça a même l’air étanche. Mais non seulement ce que j’appelle mon corps n’a pas de visage, ni même de tête, mais il est aussi grand ouvert "derrière". Ouvert sur quoi, je ne saurais le dire, car ce qui est derrière est aussi devant ce point de référence imaginaire de "mon corps". Au-dessus ou en dessous, à travers...
Autre chose : approches-toi derrière moi et regarde mes pieds par dessus mon épaule ! Ce que tu vois alors, ressemble à ce que tu vois de ton corps. C’est une greffe comme tu dis : mon corps est greffé sur ton absence unique. Voilà où je peux m’arrêter.

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