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« et tant d’autres encore ! »

jeudi 25 septembre 2014, 18404e jour de mer, par JC Sekinger

« (...) Ah ! Toutes sortes d’hommes dans leurs voies et façons : mangeurs d’insectes, de fruits d’eau ; porteurs d’emplâtres, de richesses ! l’agriculteur et l’adalingue, l’acuponcteur et le saunier ; le péager, le forgeron ; marchand de sucre, de canelle, de coupes à boire en métal blanc et de lampes de corne ; celui qui taille un vêtement de cuir, des sandales dans le bois et des boutons en forme d’olives ; celui qui donne à la terre ses façons ; et l’homme de nul métier : homme au faucon, homme à la flûte, homme aux abeilles ; celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix, celui qui trouve son emploi dans la contemplation d’une pierre verte ; qui fait brûler pour son plaisir un feu d’écorces sur son toit ; qui se fait sur la terre un lit de feuilles odorantes, qui s’y couche et repose ; qui pense à des dessins de céramiques vertes pour des bassins d’eaux vives ; et celui qui a fait des voyages et songe à repartir ; qui a vécu dans un pays de grandes pluies ; qui joue aux dés, aux osselets, au jeu des gobelets ; ou qui a déployé sur le sol ses tables à calcul ; celui qui a des vues sur l’emploi d’une calebasse ; celui qui traîne un aigle mort comme un faix de branchages sur ses pas (et la plume est donnée, non vendue, pour l’empennage des flèches), celui qui récolte le pollen dans un vaisseau de bois (et mon plaisir, dit-il, est dans cette couleur jaune) ; celui qui mange des beignets, des vers de palmes, des framboises ; celui qui aime le goût de l’estragon ; celui qui rêve d’un poivron ; ou bien encore celui qui mâche d’une gomme fossile, qui porte une conque à son oreille, et celui qui épie le parfum de génie aux cassures fraîches de la pierre ; celui qui pense au corps de femme, homme libidineux ; celui qui voit son âme au reflet d’une lame ; l’homme versé dans les sciences, dans l’onomastique ; l’homme en faveur dans les conseils, celui qui nomme les fontaines, qui fait un don de sièges sous les arbres, de laines teintes pour les sages ; et fait sceller aux carrefours de très grands bols de bronze pour la soif ; bien mieux, celui qui ne fait rien, tel homme et tel dans ses façons, et tant d’autres encore ! (...) »

Saint-John Perse
Anabase (extrait) p.133
Éloges, suivi de La gloire des rois, Anabase, Exil
NRF Poésie Gallimard 2013

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