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Le regard est invisible pour lui-même

mardi 22 septembre 2009, 16575e jour de mer, par JC Sekinger

Au parc

Dans les années 90 j’étais prof et le midi, je mangeais seul, souvent au Parc Bordelais : j’aimais passer entre deux arbustes qui tendaient leurs branches au dessus d’un petit chemin provisoire, comme par une porte. Porte fragile et toujours ouverte. Porte pour personne d’autre que moi. Je m’asseyais sur un banc, dans un endroit peu fréquenté, et je mangeais.

La pierre

Un de ces midis, de l’autre côté du chemin, je regardais une pierre. Elle n’avait rien de remarquable, sûrement aussi grise et étrange que les autres.

Je la regardais

Du rêve et de la pensée mêlés, je ne sais pas comment on pourrait appeler ça, mais c’est ainsi que je la regardais, cette pierre : elle était cette sorte de pensée, elle était des mots. Rêverie ? Songerie ? Je regardais cette pierre en me demandant « c’est l’extérieur de cette pierre que je vois, mais si je veux en voir l’intérieur ? »

L’intérieur

« Si je veux en voir l’intérieur, c’est simple : je la casse » (et j’en considérais mentalement les deux morceaux) « mais l’intérieur de la pierre est aussitôt devenu son extérieur ! Je n’ai pas vu son intérieur, il m’a échappé ! Je ne vois jamais que l’extérieur et j’aurais beau fractionner cette pierre en morceaux toujours plus petits, jusqu’à la réduire en poussière, je n’en verrai jamais que l’extérieur ! L’intérieur, lui, restera invisible ». Traversée des apparences [1]

Invisible ?

Ce que je vais dire là, je ne l’explique pas et je n’arrive pas à être plus simple : L’intérieur de la pierre est invisible parce qu’il est le regard lui-même et que le regard est invisible pour lui-même.


J’ai brièvement raconté cette histoire dans Deuxième berceau et c’est encore ce que j’avais à l’esprit quand j’ai cité Camus dans cette petite note


[1La traversée des apparences, Virginia Woolf

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