[ailleurslatete]

Accueil / Sans tête / Avoir l’air

Avoir l’air

vendredi 31 juillet 2009, 16522e jour de mer, par JC Sekinger

Sur le blog d’Éric Chevillard, L’autofictif, un extrait de texte auquel je pense quelque fois [1] :

Lundi 6 octobre 2008, 347

(...)

L’homme à la table des amis qui nous est le plus étranger, c’est soi. Quelle tête faisons-nous parmi ces visages familiers, à quoi ressemblons-nous, quelle est notre place au milieu des autres, dans cet ensemble, dans cette figure, et comment notre présence la modifie-t-elle ? L’ignorance de ces choses est la même pour chacun des convives : voilà ce qu’on appelle partager un repas.

(...)

Commentaire

« L’homme à la table des amis qui nous est le plus étranger, c’est soi. Quelle tête faisons-nous parmi ces visages familiers, à quoi ressemblons-nous (...) ? »

Regardez, à la table du déjeuner comme les convives, lorsqu’ils vous regardent, regardent vers cette Étendue que vous êtes, et lorsqu’ils s’adressent à vous, parlent dans le Silence. L’Étendue et le Silence. Nous voyons le visage des autres mais pas le nôtre et quand nous le voyons, rien ne le distingue de celui des autres : mêmes attributs, oreilles, nez, yeux... sauf qu’il est peut-être, comme le remarque José Le Roy, un peu obsédé par cette Étendue et ce Silence qu’il ne cesse de fixer depuis le miroir !

« (...) quelle est notre place au milieu des autres, dans cet ensemble, dans cette figure (...) »

Au milieu des autres, chacun peut garder un souvenir, vague, de ce dont il a l’air. Un vague désir de sa propre apparence aussi.

« comment notre présence la modifie-t-elle ? »

Comme elle modifie le bout de bois, le champ de blé, le pompon rouge, la feuille de papier...

« L’ignorance de ces choses est la même pour chacun des convives : voilà ce qu’on appelle partager un repas »

On peut supposer, en effet, que cette ignorance, dont l’absence de visage est la porte grande ouverte, est partagée par chacun. Qui, entre hors-d’œuvre et plat, posera la question ? Il s’agit bien d’un partage d’ignorance, de la « Docte Ignorance » [2]

Avoir l’air

Au lieu du visage, avons-nous donc l’air ?


[1mon intérêt n’est pas littéraire et qu’il m’excuse de saucissonner ainsi son texte 347

[2La Docte Ignorance, Nicolas de Cues, éd. Payot & Rivages, 2008

, , ,